Forêts 10 février 2017

Quel sera l’impact d’une taxe du bois d’œuvre sur le prix du bois rond?

Les dés sont joués. L’industrie canadienne se verra sans doute imposer au cours du printemps des droits compensateurs et/ou antidumping sur les expéditions de bois d’œuvre destinées au marché américain.

Déjà, les acteurs du milieu anticipent une taxe de l’ordre de 25 % qui marginalisera les scieurs canadiens, eux qui sont les plus grands compétiteurs des scieurs américains. Les consommateurs américains, les scieries canadiennes, les fournisseurs de bois résineux canadiens ainsi que les gouvernements se partageront vraisemblablement la hausse de coût générée par cette barrière tarifaire.

Les producteurs de bois de la forêt privée subiront assurément des dommages collatéraux, eux qui contribuent à 16 % des approvisionnements des scieries québécoises de bois d’œuvre. En 2015, les expéditions de sapins, d’épinettes et de pins gris à destination des scieries ont représenté presque 3 Mm³, soit environ 58 % du volume de bois vendu en forêt privée. Les producteurs forestiers ont raison d’être inquiets.

Du bois d’œuvre plus cher pour les consommateurs américains

L’industrie canadienne joue un rôle prépondérant dans le marché américain du bois d’œuvre. Au cours des trois premiers trimestres de 2016, la demande américaine a été comblée principalement par les scieurs américains (65 %) et canadiens (34 %). L’imposition d’une taxe aura pour conséquence immédiate de gonfler artificiellement le coût du bois d’œuvre en provenance du Canada. Cela provoquera une hausse du prix moyen sur le marché américain, à moins que les scieurs américains ne comblent rapidement l’offre. Ce dernier scénario demeure improbable dans la mesure où la production américaine ne peut pas s’accroître substantiellement du jour au lendemain.

Outre la réduction des parts de marché des scieurs canadiens aux États-Unis, cette hausse de prix du bois d’œuvre est un deuxième objectif poursuivi par les scieurs américains. Ils vendront alors davantage de bois d’œuvre à un prix plus élevé, ce qui décuplera leurs marges de profit. C’est sans compter qu’une proportion des taxes payées par les scieries canadiennes pourrait retourner dans les poches des scieurs américains ayant déposé la plainte. Lors du dernier conflit, les plaignants ont récolté environ 10 % des 5 G$ qui ont été prélevés. Ces éléments justifient amplement la récurrence des accusations portées par les scieurs américains envers leurs concurrents canadiens.

Qui se partagera la facture?

À ce stade, quatre scénarios peuvent être envisagés.

1. Les consommateurs américains pourraient absorber la hausse du coût du bois d’œuvre canadien. La National Association of Home Builders évalue qu’une taxe de 25 % sur le bois d’œuvre canadien aurait pour conséquence d’accroître de 1 300 $ US, en moyenne, le coût de construction d’une résidence unifamiliale. Or, il ne faut pas sous-estimer la plasticité des marchés; d’autres sources d’approvisionnement moins onéreuses surgiront et permettront aux consommateurs d’atténuer la hausse de prix. D’ailleurs, les scieries américaines bénéficieront d’un avantage sur les scieries canadiennes, en raison de la taxe supplémentaire, qui leur donnera la possibilité de vendre en deçà du prix des producteurs canadiens, et ainsi, d’accentuer leur production et d’accroître leur part de marché.

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2. Les gouvernements québécois et canadiens pourraient décider d’absorber les coûts de la taxe en mettant en place un système de garanties de prêts à l’industrie dans l’espoir que les tribunaux internationaux statuent en faveur de la position canadienne. Ce soutien permettrait à l’ensemble de la filière de conserver sa structure de coût. Toutefois, est-ce que les gouvernements accepteront de supporter cette facture pendant les années nécessaires à la contestation judiciaire?

3. Les scieries pourraient assumer directement ces coûts. L’ampleur de la taxe anéantira leur marge bénéficiaire et elles essuieront temporairement des pertes. Pas question cette fois-ci de compter sur les sous-produits du sciage tels que copeaux, planures et sciures pour compenser la perte de revenus de bois d’œuvre; il y a déjà trop de stocks de copeaux sur les marchés et la demande pour ces derniers flanche alors que les papetières ferment. Les scieurs miseront sur leurs actifs les plus rentables. Ils scieront le bois le moins cher de leur panier d’approvisionnement. Ils réduiront leur production, mais devraient accroître leur efficacité.

4. Les scieries pourraient refiler une partie des coûts supplémentaires à leurs fournisseurs en exigeant une baisse de prix du bois rond. C’est justement là que le bât blesse pour les producteurs de bois, puisque l’approvisionnement et la manutention du bois rond représentent 59 % de l’ensemble des frais d’exploitation des scieries québécoises. Il y a fort à parier que la chaîne d’approvisionnement en bois (propriétaires forestiers, producteurs/entrepreneurs forestiers et transporteurs) sera appelée à assumer une partie non négligeable des coûts associés à la taxe.

La combinaison de ces scénarios constituera la réalité des prochaines années. Toutes les parties impliquées, à l’exception des scieries américaines, subiront le choc provoqué par la taxe sur le bois d’œuvre. Les consommateurs américains paieront celui-ci plus cher, les gouvernements viendront en aide à l’industrie, les scieurs canadiens verront leurs marges s’effriter et leurs volumes de vente chuter.

Finalement, les producteurs de bois participeront, malgré eux, à l’effort de guerre alors que la capacité de payer des scieries diminuera drastiquement. La demande de bois rond devrait suivre la même tendance que la production canadienne de bois d’œuvre; elle chutera à mesure que les scieurs américains et d’outre-mer accroîtront leurs parts de marché au détriment du Canada. Il y a peu de marché de substitution existant pour ces volumes.

La Fédération des producteurs forestiers du Québec a proposé une approche originale pour éviter une baisse de revenus des producteurs. Elle milite pour une exemption du bois des forêts privées dans le cadre des négociations entourant le dossier du bois d’œuvre.

D’ici là, l’ensemble de la filière devra faire preuve de résilience et la coopération entre les partenaires sera de mise pour se dresser contre cet acte de protectionnisme américain.

Texte de Vincent Miville, ing. f. M.Sc., Économiste forestier