Actualités 5 octobre 2016

La biomasse est disponible, mais des contraintes subsistent

La biomasse forestière résiduelle (BFR) occupe déjà une place importante dans l’offre énergétique du Québec, mais il reste des problèmes à régler si l’on veut en augmenter l’usage pour chauffer les bâtiments. Lors de la récente conférence sur la BFR tenue à Québec, le thème de l’approvisionnement a été abordé par plusieurs experts.

Eugène Gagné, directeur adjoint et directeur du développement à la Fédération québécoise des coopératives forestières (FQCF), pilote la filière de la bioénergie. De nombreuses coopératives alimentent des chaufferies à la biomasse. Selon M. Gagné, « l’acheteur doit avoir la garantie du fournisseur qu’il pourra l’approvisionner de manière stable et à long terme ».

Le fournisseur doit être en mesure de démontrer à l’acheteur qu’il peut l’approvisionner en biomasse selon la granulométrie et le taux d’humidité qui sont requis par la chaufferie. « C’est la constance du taux d’humidité qui est recherchée par l’opérateur de la chaudière », précise-t-il. Le coût net au kilowattheure (kWh) produit est l’élément clé à considérer si l’on cherche le réel indicateur de l’efficacité de la chaîne d’approvisionnement. Le pouvoir calorifique inférieur, variable selon le taux d’humidité, est d’environ 5 300 kWh par tonne métrique anhydre, note M. Gagné.

La ressource n’est pas toujours aisément accessible en forêt. Il faut donc se doter d’installations pour entreposer la biomasse et la préparer pour la livraison, ajoute-t-il. Le conditionnement passe par l’entreposage, et des recherches ont réussi à déterminer les conditions optimales pour réduire le taux d’humidité de la biomasse en quelques semaines, sans avoir à brasser le matériel.

Le succès des projets menés par les membres de la FQCF dépend justement des centres de tri régionaux où l’on conditionne la biomasse pour la livrer selon la granulométrie et le taux d’humidité requis par la chaufferie. Ces copeaux conditionnés, ou plaquettes, sont d’une taille supérieure au broyat classique et montrent un taux de fines moins élevé. Le réseau des centres de transformation et de conditionnement de la biomasse (CTCB) de la FQCF compte depuis peu un 14e établissement, géré par le Groupement forestier de Kamouraska.

Les plaquettes sont offertes à un prix plus bas que les autres combustibles. Cependant, les frais liés à l’entretien des chaufferies à la biomasse sont plus élevés que pour les systèmes concurrents (gaz naturel, propane, mazout) ou les fournaises à l’électricité. Les équipements coûtent aussi plus cher à l’achat, explique Eugène Gagné.

Le laboratoire de La Matapédia

L’intérêt des coopératives forestières pour la BFR a notamment été suscité par les efforts menés dans la MRC de La Matapédia. Fondée en 1994, la Coopérative forestière de La Matapédia a créé sa filiale Énergie CFM en 2006. À partir de 2008, cette dernière a implanté la nouvelle chaufferie à la biomasse à l’hôpital d’Amqui avec l’appui du laboratoire rural de la région. La même année, la Coop a acquis des installations à Sainte-Florence pour mettre en place son CTCB, explique Simon Roy, directeur général.

Les volumes livrés, soit moins de 6 000 tonnes par année, sont encore modestes. Énergie CFM récupère les cimes des arbres laissés en forêt, mais aussi une partie du bois marchand de la forêt privée qui ne trouve pas preneur à cause de son petit diamètre.

Énergie CFM approvisionne six chaufferies, dont deux qu’elle détient et trois qui sont sous contrat de gestion. La firme emploie trois mécaniciens de machinerie fixe (classe 4), qui assurent l’entretien et l’exploitation des chaufferies, ce qui inclut un service d’urgence. « Ce ne sont pas tous nos clients qui ont les ressources humaines pour faire fonctionner de tels équipements », précise M. Roy.

En forêt privée

L’ingénieur forestier Gaétan Deschênes a fait le point sur la disponibilité de la biomasse en forêt privée, qui est selon lui « le produit le plus difficile à récolter et qui génère le moins de revenus pour le producteur forestier ». M. Deschênes est responsable de la mise en marché au Syndicat des propriétaires forestiers de la région de Québec (SPFRQ).

Selon la Fédération des producteurs forestiers du Québec, la biomasse disponible dans les cimes des arbres récoltables en forêt privée est estimée à 3,2 millions de tonnes métriques anhydres. Comme il est déjà difficile de mobiliser les propriétaires pour recueillir du bois marchand sur leurs lots privés, la filière devra assurer un prix raisonnable au producteur si elle veut récolter la biomasse en forêt privée, explique M. Deschênes.

Le SPFRQ a participé financièrement à des projets menés dans la MRC des Etchemins et celle de Portneuf. Il est aussi partenaire avec un fabricant du Maine qui produit des granules et du charbon activé. Le Syndicat a établi un partenariat d’affaires avec le Groupe Corneau, qui livrait des copeaux à Innoventé et aux Serres Lacoste.

Le SPFRQ est prêt à ratifier des ententes d’une durée de cinq ans qui concernent les parties non utilisées des arbres et les essences difficiles à mettre en marché. L’acheteur doit avoir une balance au poste de réception, être en mesure de décharger le camion semi-remorque et d’accueillir les livraisons 10 mois par année en offrant une certaine souplesse sur les heures d’ouverture, et être capable de payer rapidement. Le prix demandé varie en fonction de la distance de transport.

Disponibilité de la fibre

L’ingénieur forestier Nicolas-Pascal Côté, responsable de la direction de la gestion des stocks ligneux au ministère des Forêts, de la Faune et des Parcs (MFFP), a fait le point sur la disponibilité de la biomasse dans les forêts publiques du Québec. Le Bureau du forestier en chef est responsable de déterminer la disponibilité de BFR en forêt publique. Le Bureau de mise en marché du bois est de son côté responsable de vendre la BFR au plus offrant, comme il le fait pour 25 % de la possibilité de récolte du bois attribuable récolté en forêt publique.

À l’heure actuelle, selon les chiffres dévoilés par M. Côté, environ 84 % de la BFR attribuable est toujours disponible, soit 3,78 millions de tonnes sur la possibilité estimée à 4,5 millions de tonnes de biomasse récupérables en forêt publique. C’est en Mauricie, en Outaouais et au Nord-du-Québec que le volume disponible est le plus élevé. Dans les deux premières régions, aucun permis de récolte de la BFR n’a encore été octroyé, tout comme c’est le cas dans les régions de la Capitale-­Nationale, de l’Estrie, de la Côte-Nord et de la Gaspésie–Îles-de-la-Madeleine. C’est en Abitibi-Témiscamingue (62,7 %) et au Saguenay–Lac-Saint-Jean (26,4 %) que la proportion de BFR attribuable est la plus largement récupérée.

Les tiges marchandes ne peuvent être octroyées dans le cadre du permis de récolte pour l’approvisionnement d’une usine, précise M. Côté. Néanmoins, pour les cinq prochaines années, le MFFP a choisi d’allouer de manière ponctuelle aux intéressés le bois marchand laissé sur le parterre de coupe qui n’aurait pas trouvé preneur dans les usines de transformation primaire. « Nous avons choisi cette orientation pour aider la filière à se développer », explique-t-il. Par cette orientation, le MFFP veut ainsi favoriser les projets énergétiques, métallurgiques ou de chimie verte.

Environnement

Amélie St-Laurent Samuel est responsable des projets portant sur la biomasse forestière à Nature Québec depuis 2012 et coordonnatrice de Vision biomasse Québec depuis 2014. Elle recommande d’adopter les bonnes pratiques en matière de combustion du bois, en utilisant un combustible adapté aux exigences de performance de l’équipement installé et en entretenant le matériel de manière adéquate.

Les bonnes pratiques sont aussi encouragées en matière de récolte de la biomasse. Selon la productivité du sol, la fertilité du site et en considérant les impacts sur la qualité de l’eau et des habitats, Mme St-Laurent Samuel rappelle que les chercheurs suggèrent d’éviter la récolte sur les sites forestiers sensibles. Sur ceux qui sont non sensibles, on doit laisser un certain volume de résidus en forêt et épargner certains arbres et souches à vocation faunique.

« Lorsque la forêt est aménagée durablement, les émissions de CO2 dues à la combustion de la biomasse sont captées par la photosynthèse lorsque la forêt repousse. Pourtant, on ne peut affirmer que la combustion de la biomasse est carboneutre, car cette capture se déroule sur une période plus ou moins longue », ajoute Mme St-Laurent Samuel. Il importe de réduire la durée de la captation du carbone afin d’obtenir les bénéfices liés à la réduction des émissions de CO2, mentionne-t-elle.

Citant le chercheur Pierre-Yves Bernier, du Service canadien des forêts, elle énumère les principes à appliquer afin d’obtenir rapidement des gains sur le plan de la réduction des émissions de gaz à effet de serre : la biomasse doit remplacer les combustibles fossiles les plus polluants, comme le charbon et le mazout; il faut choisir les modes de conversion en énergie les plus efficaces, comme la production de chaleur et la cogénération; utiliser les sources de biomasse résiduelle, comme les déchets issus de la récolte et de la transformation; et favo­riser les circuits courts.