Actualités 3 octobre 2016

Des gains en production agricole grâce à la biomasse

Trois entreprises du secteur agricole ont fait part de leurs projets respectifs en matière 
de chauffage à la biomasse forestière résiduelle (BFR), le 8 juin à Québec. Ces essais ont été menés dans l’élevage de volailles, la culture de légumes en serre et la production de 
sirop d’érable.

Confort animal

Louis Beauchemin, coordonnateur au financement et aux énergies renouvelables à La Coop fédérée depuis huit ans, s’occupe depuis trois ans à développer la filière biomasse aux Énergies Sonic, la marque de commerce en énergie de la coopérative. Sonic convertit en énergie l’équivalent de 350 000 tonnes de biomasse par année.

Louis Beauchemin, coordonnateur au financement et aux énergies renouvelables à La Coop fédérée. Crédit photo : MAG/Q-WEB

Louis Beauchemin, coordonnateur au financement et aux énergies renouvelables à La Coop fédérée.

En 2012, Sonic a acquis, Prairie Bio Energy, le chef de file canadien en biomasse au Canada, établi au Manitoba, et a fondé la société en commandite Biovalco, une firme d’ingénierie spécialisée en chauffage à la biomasse. Les coopératives du Manitoba ont développé l’expertise dans l’utilisation des résidus agricoles. « Au lieu de brûler la paille au champ, elles ont développé des systèmes afin de la récupérer et s’en servir comme biomasse agricole pour chauffer », souligne-t-il.

Outre la réduction des coûts de chauffage et la diminution des émissions de gaz à effet de serre, l’utilisation de la biomasse pour chauffer un poulailler comporte un avantage principal : l’amélioration du confort animal. Selon M. Beauchemin, il y a un lien direct entre le taux d’humidité, la détérioration de la litière, la libération d’ammoniac et la performance des oiseaux.

Chaque litre de propane brûlé par une couveuse dégage 0,8 L d’eau dans le poulailler. « En hiver, ce mode de chauffage libère beaucoup d’eau dans le poulailler. On sature ainsi l’atmosphère d’humidité, ce qui détériore la litière plus rapidement et libère l’ammoniac dans l’air ambiant », explique-t-il.

Chauffer la biomasse produit un air plus sec qui ne dégage pas d’humidité, et la litière ne se détériore pas. « À Sonic, nous sommes convaincus que le chauffage à la biomasse est un atout pour produire du poulet sans antibiotiques », ajoute Louis Beauchemin.

Dans un poulailler, on observe une réduction du poids vif allant de 5 à 17 % selon le taux d’ammoniac dans l’air, d’après+8 une étude menée par des chercheurs de La Coop fédérée.

Concrètement, la réduction de 5 % du poids vif des animaux correspond à une perte de revenus annuels d’environ 23 000 $ par année pour un poulailler de 20 000 oiseaux. « On peut conclure que le bien-être des oiseaux est associé à l’environnement [litière, température et humidité] plutôt qu’à la densité d’élevage », dit-il.

Pour mieux comparer les prix, Louis Beauchemin a traduit en dollars par gigajoule les différentes formes d’énergie. La diminution des coûts de chauffage est substantielle, que l’on utilise des copeaux de bois à un taux d’humidité de 30 %, les granules de bois ou la biomasse agricole (voir tableau ci-joint).

M. Beauchemin a aussi comparé le chauffage à l’eau chaude et celui à air pulsé. Le chauffage à l’eau chaude est le système le plus couramment utilisé dans les poulaillers, et l’on peut l’adapter aux différents types de biomasse. L’eau chaude permet de centraliser le système et de chauffer plusieurs bâtiments avec une seule chaudière. Par contre, ce système représente des investissements plus élevés en tuyauterie pour amener l’eau chaude vers les poulaillers, et il faut prévoir des infrastructures de stockage de la biomasse. La récupération du matériel est aussi plus complexe et onéreuse.

Le chauffage à air pulsé est le système le plus utilisé en Europe depuis 40 ans. Il est moins coûteux et plus simple que l’autre à implanter. Mais l’air chaud ne se transporte pas à partir d’un système centralisé. Il faut donc prévoir une plus petite fournaise pour chacun des bâtiments à chauffer, reliée à un silo de granules de bois. Il y a plus de gestion et d’entretien des appareils à prévoir, et ces derniers ne peuvent fonctionner qu’avec des combustibles plus coûteux, comme les granules.

Club acéricole de l’Est

Le Club d’encadrement technique en acériculture de l’Est compte 152 producteurs du Bas-Saint-Laurent, lesquels représentent 44 % des 8,3 millions d’entailles en production dans cette région. Les producteurs de la Gaspésie peuvent aussi bénéficier de ses conseils. La moyenne est de 24 000 entailles par producteur; la plus grosse exploitation en compte 100 000.

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Jacques Boucher, coordonnateur du Club acéricole de l’Est.

Jacques Boucher, coordonnateur du Club, raconte que la hausse du prix du mazout à 1,06 $ le litre en 2008, soit un montant sept fois plus élevé que celui de 1996, a forcé les acériculteurs à réfléchir. L’évaporateur au bois classique des petites cabanes à sucre n’est pas approprié aux entreprises acéricoles de grande taille.

Le fabricant Les Équipements d’érablière CDL a commencé à concevoir un évaporateur utilisant des granules de bois et nécessitant des installations semblables à celles utilisées pour brûler de l’huile. Avec la participation du Centre Acer et l’aide financière du Conseil pour le développement de l’agriculture du Québec (CDAQ), le Club a soumis son projet de conversion aux granules de bois en juin 2010.

Le premier essai a été réalisé à la Coopérative forestière Haut Plan Vert, qui commençait à gérer une exploitation de 25 000 entailles. Jacques Boucher, qui y travaillait alors, a convaincu la coopérative de passer tout de suite aux granules, ce qui a été fait en janvier 2011. On y utilise un silo de ferme qui peut contenir 55 tonnes de granules.

L’efficacité énergétique de l’évaporateur aux granules est comparable à celle de l’évaporateur à l’huile. Selon M. Boucher, le temps de changement des pannes est un peu plus long, mais il n’y a pas de différence majeure.

Au cours de cette première saison, le prix du litre de mazout était de 0,90 $ et celui de la tonne de granules, de 200 $. Grâce aux granules, la facture énergétique a donc été réduite de 58 %.

La coopérative de solidarité Agro­Énergie a été constituée afin d’assurer un approvisionnement de granules constant en volume et en qualité. Celles-ci sont fournies par le Groupe Savoie, de Saint-Quentin au Nouveau-Brunswick. Depuis 2013, tous les fabricants d’évaporateurs ont inclus l’option des granules dans leurs équipements : c’est le cas chez L.S. Bilodeau, Dominion & Grimm, et bien sûr, aux Équipements CDL.

En 2016, quelque 32 acériculteurs du Club ont ainsi utilisé 2 000 tonnes de granules. Après un premier essai raté auprès du Bureau de l’efficacité et de l’innovation énergétiques en 2012, le Club a soumis cette année un nouveau projet de conversion, appuyé par un rapport de la Coop Carbone.
Utiliser les copeaux pour l’évaporation de la sève n’est pas l’idéal, car malgré leur faible coût, leur qualité n’est pas uniforme et ils posent d’autres problèmes à l’entreposage. La saison du sirop est courte et le producteur ne doit pas prolonger ses journées en gérant l’humidité des copeaux, note M. Boucher. De plus, ceux-ci doivent être conditionnés adéquatement et d’une taille uniforme, précise un participant.

Excel Serres

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Gabriel Beauregard, des Serres Excel.

Aux Serres Excel, établies au pied du mont Rougemont, près de la rivière Yamaska, on produit des légumes, principalement des tomates, depuis 1970. L’exploitation est dirigée par Gabriel Beauregard, qui travaille avec son épouse Nicole et son fils Louis-David. Ce dernier a pris la direction de l’entreprise en 2013. La ferme a aussi produit des grandes cultures pendant quatre décennies.

Durant une trentaine d’années, le chauffage à l’air chaud a été obtenu par la combustion de l’huile no 2, qui coûtait à l’époque 14,5 ¢ le gallon, rappelle M. Beauregard. Les installations s’étendaient alors sur 15 000 pi2. On a aussi produit dans ses serres des concombres, des laitues et des poinsettias. Plus tard, des fraises y ont également été cultivées.

À la fin des années 1990, Gabriel Beauregard a voulu doubler la superficie des serres et les moderniser. L’exploitant voulait que ses installations fonctionnent à l’année, sur le modèle hollandais. Dès l’hiver 2001-2002, la production couvrait 43 000 pi2. On a aussi installé des gouttières, des rails, et l’on a informatisé les outils de gestion de la production.

Au printemps 2002, sans trop de ressources ni d’accompagnement, la famille Beauregard a fait le choix de la biomasse. Elle a rapidement constaté l’absence d’expertise au Québec en matière de chauffage à la biomasse. « C’était un vrai projet de R et D, qui impliquait beaucoup de chercheurs de diverses professions », raconte Gabriel Beauregard. Il assure que malgré le remplacement du premier système, les retombées sur la production ont été bonnes et la rentabilité est au rendez-vous.

En mai 2012, alors que les parents discutaient du transfert de l’entreprise, l’inspection de la chaufferie a montré une usure avancée du corps de la chaudière. Le nouvel équipement a été installé en 2013, avec l’aide des consultants Gobeil Dion & Associés. On a alors envisagé de recourir au gaz naturel comme carburant, mais le distributeur réclamait 500 000 $ pour prolonger le réseau de 3 km vers la ferme, et l’idée a été abandonnée.

La capacité de la nouvelle chaudière, de fabrication française, est de 3,5 millions de BTU à l’heure, ou 100 BHP. Entièrement automatisée, la « rougette » est dotée d’un système de ramonage automatique. On a aussi optimisé le réservoir d’autoaccumulation de l’eau chaude, déjà installé depuis 2002, d’une capacité de 18 000 gallons US. Le projet a nécessité un investissement total de 550 000 $, qu’on espérait rentabiliser en trois ans.

Grâce au choix de la BFR et malgré les pépins survenus en cours de route, les résultats ont été bons, note Gabriel Beauregard, car Serres Excel a pu éviter le pire lors des plus récents soubresauts du prix du carburant. Les nouveaux propriétaires ont pu agrandir encore les installations de 60 % en 2015, et une autre expansion de la production est prévue en 2018.

Au départ, Gabriel Beauregard ­songeait à utiliser la biomasse du soya et d’autres types de paille des différentes cultures qu’il produisait déjà. Mais il a constaté que ses résidus comportent beaucoup d’éléments minéraux, et leur entreposage posait problème. Les premiers copeaux utilisés étaient issus de déchets de matériaux de construction.

Les chaudières à la biomasse améliorent la rentabilité des serres, poursuit-il, mais « il ne faut pas être fonctionnaire pour gérer cela ». Ces équipements exigent plus de surveillance et d’entretien, et l’on doit s’assurer d’avoir quelqu’un à proximité qui surveille leur bon fonctionnement.