Actualités 30 septembre 2016

Des efforts à poursuivre pour stabiliser la filière biomasse

La valorisation de la biomasse forestière résiduelle offre un grand potentiel de croissance, mais des efforts importants sont requis pour stabiliser les entreprises et favoriser leur développement.

Le 8 juin dernier à la conférence organisée par le Bureau de promotion des produits du bois du Québec, plusieurs experts ont parlé du potentiel de la biomasse forestière résiduelle (BFR) dans le contexte de la nouvelle politique énergétique du Québec.

Amélie St-Laurent Samuel, coordonnatrice de Vision Biomasse Québec, donne des exemples des progrès réalisés ces dernières années. Lors de la fondation de Vision Biomasse Québec en 2014, les partenaires de l’organisation avaient déterminé sept cibles de développement du secteur d’ici 2025. Parmi celles-ci, Mme St-Laurent Samuel note la production de 4 000 GWh d’énergie provenant de sources renouvelables, ce qui permettrait de valoriser un million de tonnes métriques de BFR supplémentaire.

État de la filière
La BFR peut être utilisée pour la cogénération, la production de granules et le chauffage des bâtiments. Jean-Pierre Bourque, conseiller en développement industriel de la filière biomasse et bioénergie au ministère des Forêts, de la Faune et des Parcs (MFFP), cite en exemple la centrale de cogénération Chapais Énergie, l’usine de production Granules L.G., de Saint-Félicien, et la chaufferie de la municipalité de Saint-Gilbert, dans la MRC de Portneuf.

Le principal débouché pour l’utilisation énergétique de la biomasse est la combustion directe. Pour l’instant, le marché du chauffage ICIA (institutionnel, commercial, industriel ou agricole) offre le potentiel de croissance le plus important, selon M. Bourque. Ce secteur n’a consommé que 65 019 tonnes en 2015, soit environ 1,5 % de la BFR utilisée à des fins énergétiques.

La consommation totale de BFR équivaut à 4,2 millions de tonnes métriques ou 20,8 TWh. En 2015, les 12 usines de cogénération ont consommé 72 % de la BFR et ont ainsi produit 1,9 TWh d’électricité et 5,6 TWh d’énergie thermique pour le chauffage. Dix-huit pour cent de la biomasse consommée ont servi au chauffage des usines de transformation du bois à même les résidus. La production de granulés a représenté 8 % de la consommation de la biomasse. Moins de 1 % de la consommation de BFR a été utilisée pour la production de bûches.

À l’heure actuelle, à peine 3 % de toute la BFR consommée à des fins énergétiques provient du bois non marchand récolté en forêt. Jean-Pierre Bourque estime qu’il faudra exploiter davantage ce potentiel. « Il faut mettre l’accent là-dessus, car en ce qui concerne les autres sources, tout ce qui est produit est déjà consommé », ­mentionne-t-il.

À l’heure actuelle, à cause de la baisse du prix des produits pétroliers, la biomasse n’offre plus le même avantage concurrentiel. Tout comme Jean Gobeil, M. Bourque estime nécessaire de concevoir des installations de chauffage compatibles avec la matière disponible et l’utilisation que l’on fera de celle-ci. « Dans le passé, des installations mal conçues ont été moins ­performantes, ce qui n’est pas bon pour la crédibilité de la filière », ­souligne-t-il.

La place de la biomasse
Normand Mousseau, professeur à ­l’Université de Montréal, a coprésidé la Commission sur les enjeux énergétiques du Québec dont le rapport a été rendu public en février 2014. Selon lui, la cible la plus intéressante pour l’expansion du marché de la biomasse demeure le chauffage des bâtiments institutionnels et commerciaux. « Il y a des marchés à intégrer, mais ça ne se fera pas automatiquement. Il faut se positionner. »

M. Mousseau rappelle qu’en Ontario, le chauffage est entièrement assuré par le gaz naturel, et la province devra aussi s’engager à réduire ses émissions de gaz à effet de serre. La biomasse pourra alors se faire une place. Ailleurs au Canada et à l’étranger, la biomasse pourra être offerte comme un avantage environnemental et être substituée aux hydrocarbures. Même dans le secteur résidentiel, il existe un marché, insiste-t-il.

En développant l’expertise québécoise en biomasse, les équipementiers pourront acquérir des brevets à l’étranger et proposer des solutions globales aux clients, en incluant des systèmes biénergie, qui permettent aussi de climatiser les immeubles en été. « La matière première se transporte mal à l’étranger, à cause des distances. Mais le savoir-faire et les solutions innovantes donnent la possibilité de créer une structure industrielle performante et efficace au Québec. » Le chauffage à la biomasse offre plus de potentiel pour l’économie d’ici que l’électrification des transports, estime M. Mousseau.

Conditions gagnantes
Jean Gobeil, de la firme de consultants Gobeil Dion & Associés, énumère les conditions gagnantes requises pour le développement d’un projet énergétique alimenté à la BFR. Depuis 2009, il a participé à 5 des 25 projets de conversion énergétique à la biomasse réalisés en agriculture.

La proximité de l’approvisionnement est à considérer, et il faut se procurer la BFR à moins de 100 km de la chaufferie, estime-t-il. Cela pose un problème en Montérégie, où la ­ressource est rare dans plusieurs MRC. Certes, un approvisionnement fiable et constant est nécessaire, mais la chaudière doit avoir la bonne dimension, être adaptée au type de biomasse (copeaux, broyats ou granules) et au taux d’humidité du combustible, insiste M. Gobeil. Une chaudière ­utilisée à 100 % de sa capacité exige moins d’entretien et produit moins de saletés.

Dans les projets serricoles auxquels il a collaboré, à l’étape de la connexion entre la chaudière et le réseau de ­distribution de l’eau chaude, Jean Gobeil a dû recourir à des fournisseurs ontariens. La production en serres occupe des superficies cinq fois plus grandes en Ontario qu’au Québec. De la même manière, l’expertise se fait plus rare à l’étape de la mise en service de la chaudière à la BFR, contrairement à ce que l’on voit pour les chaudières alimentées au propane ou au mazout. Il faut prévoir un délai plus long, « de trois à cinq semaines, au lieu de trois jours », pour bien maîtriser cette étape. Il faut s’assurer d’avoir une personne dans l’entreprise qui peut suivre le bon fonctionnement de l’installation sur une base quotidienne. « Quand la chaudière cesse de fonctionner, ce n’est pas à 2 h de l’après-midi un jour de semaine, mais en pleine nuit ou durant un jour férié », raconte M. Gobeil.

Il faut prévoir un délai de 18 mois pour convertir ses installations à la BFR, mentionne M. Gobeil. Le producteur serricole qui appelle durant la saison morte en pensant avoir sa nouvelle chaufferie l’automne suivant aura une mauvaise surprise. Le consultant rappelle aussi la nécessité que les fournisseurs possèdent une expertise technique reconnue. Selon lui, les deux interruptions de l’aide financière offerte par Québec, survenues lorsque les ­budgets ont été épuisés, ne favorisent pas le développement de la filière.

Des échanges
Lors des échanges en séance plénière, Laurent Giérula, d’ESYS solutions de chauffage écologiques, a demandé s’il existait une liste d’édifices publics qui pourraient rapidement être convertis au chauffage à la biomasse, afin que le gouvernement donne l’exemple au secteur privé. Luce Asselin, sous-­ministre au ministère de l’Énergie et des ­Ressources naturelles, reconnaît qu’il y a du travail à faire dans les édifices ­gouvernementaux autres que les hôpitaux et les écoles. « Nous en parlons avec la Société immobilière du Québec et nous essaierons de lancer des messages concrets dans les prochains mois », dit-elle.

Éric Rousseau, directeur général de la Coopérative forestière Ferland-Boileau, souligne que les projets de conversion sont petits et difficiles à rentabiliser. Il déplore l’abandon du projet métallurgique de la Société FerroAtlantica Canada à Port-Cartier, lequel aurait utilisé quelque 200 000 tonnes de biomasse. En combinant cette demande avec le chauffage de quelques édifices publics, le projet aurait été gagnant grâce à des coûts d’approvisionnement plus abordables associés aux économies d’échelle, explique-t-il.

André Bédard, de Granules L.G., note que le Québec produit déjà une surcapacité de 100 000 tonnes de granules. Il croit que l’on devrait favoriser des circuits d’approvisionnement plus courts en écoulant ce surplus à l’échelle locale, par exemple dans les érablières. Normand Mousseau estime plutôt que le marché idéal pour les granules se trouve dans le chauffage des édifices en milieu urbain, où l’on a besoin d’un produit propre, facile à manipuler et à entreposer. Il suggère de concevoir les équipements en les jumelant à une thermopompe, qui sert à climatiser l’immeuble en été.