Actualités 7 juillet 2016

L’irrigation intelligente permet des gains majeurs – Partie 1

Mieux comprendre l’eau dans leurs champs permet aux plus importants producteurs de laitue du Québec de faire des gains en volume vendable pouvant aller jusqu’à 40 % certaines années. Avec les changements climatiques, l’irrigation calibrée en fonction des besoins des plantes pourrait devenir pertinente dans un nombre grandissant de cultures.

La laitue, c’est comme une pompe à eau. On vend de l’eau transformée », illustre Denys Van Winden, propriétaire de Production horticole Van Winden et un des initiateurs du projet de recherche sur l’irrigation avec le professeur Jean Caron de l’Université Laval. Après une conférence, au cours d’une discussion avec le chercheur, Denys Van Winden arrive à la conclusion qu’il faut comprendre l’eau et mieux la gérer. C’est ainsi qu’il réussit à convaincre quatre autres producteurs de laitue de la région de Sherrington, les cinq fermes partenaires de Vegpro, d’embarquer dans un projet pour tester un nouveau logiciel
de gestion de l’irrigation.

« Il faut pouvoir répondre à trois questions : quand, où et en quelle quantité faut-il arroser? » explique Jean Caron, qui a reçu le prix Synergie du Conseil de recherches en sciences naturelles et en génie du Canada et le prix Partenariat de l’Association pour le développement de la recherche et de l’innovation du Québec cette année pour son invention.

Le logiciel prend les décisions concernant l’irrigation en fonction de la météo, des mesures obtenues par des tensiomètres dans le sol, de la cartographie des différents sols de la ferme, de la date de plantation et du stade de développement de la plante. Un nouveau paramètre sera probablement intégré prochainement, celui de la capacité de drainage. « Tu ne peux pas bien irriguer si ce n’est pas bien drainé », estime le chercheur. Le logiciel prend ensuite des décisions d’arrosage pour chaque champ et transmet les informations au producteur sur une carte en nombre de millimètres requis.

Un tensiomètre qui transmet ses données par Wi-Fi et qui est alimenté par un panneau solaire.
Un tensiomètre qui transmet ses données par Wi-Fi et qui est alimenté par un panneau solaire.

Un des points importants est que le système permet de prévoir l’irrigation nécessaire dans les prochains jours en fonction de la météo et de l’état actuel des sols. Ce point est crucial puisque les producteurs doivent habituellement déplacer l’équipement d’un champ à l’autre pour irriguer, ce qui prend du temps. On peut donc « mettre de l’eau en banque » à certains endroits pour avoir le temps de tout irriguer avant de descendre sous les seuils critiques de sécheresse. « C’est un peu comme un pompier qui pourrait savoir où le feu va prendre », lance Stéphane Van Winden, de la ferme Delfland. En fait, cette « capacité d’anticipation » est ce qui permet le plus de gains.

La première étape consiste donc à bien cartographier les terres. Certains sols retiennent bien l’eau et d’autres moins. La capacité des racines à se frayer rapidement un chemin pour aller chercher l’eau en profondeur varie énormément en fonction du type de sol. Dans une belle terre noire de 3 m d’épaisseur, par exemple, les racines peuvent s’enfoncer de 2,5 cm par jour! C’est cependant plus l’exception que la règle. Chez les cinq producteurs de laitue participant au projet, on a déterminé qu’il y avait trois types de sols différents aux fins d’interprétation par le logiciel AGIRRSOL. Quelque 1 000 échantillons de terre prélevés avec un pénétromètre ou une tige de ramonage ont été nécessaires pour faire ce travail.

Il faut d’abord connaître le rythme de transfert de l’eau en fonction de la transpiration des plantes et de la météo. On associe ensuite ces données à celles
transmises à distance par des tensiomètres géolocalisés par GPS et distribués dans chacune des parcelles. Cet appareil de mesure contient un peu d’eau et des tiges plantées dans le sol avec un bout en céramique. Plus le sol est sec, plus l’eau veut sortir de la tige et plus la tension, mesurée en kilopascals (kPa), est élevée.

Après la plantation des laitues en mottes cubiques, il faut maintenir cette tension autour de -10 kPa pendant 10 jours. Plus tard, à 15 jours de la récolte, il faut viser une tension de -10 kPa à -15 kPa. Entre les deux, au coeur de l’été, il faut assécher graduellement de -10 vers -30 kPa, pour favoriser l’enracinement, sans descendre sous les -30 kPa. En effet, un sol trop sec devient plus difficile à réhydrater. « Quand tu tombes à -40 kPa, ça prend beaucoup d’eau pour ramener l’humidité au bon niveau », explique Jonathan Guérin, de JPL Guérin et Fils. La laitue, comme toutes les plantes, peut très bien ne pas réussir à aller chercher l’eau dont elle a besoin pour connaître une bonne croissance sans maladie ni brûlure. La capacité d’absorption de l’eau des plants en fonction de leur développement actuel fait partie des paramètres qui servent à calculer l’irrigation requise.

Si la laitue manque d’eau par temps chaud, un des pires cauchemars des producteurs de laitue survient : la brûlure de la pointe (tip burn). Cette maladie causée par le stress hydrique entraîne le déclassement de la laitue, qui perd beaucoup de valeur. Les transformateurs peuvent éliminer les parties affectées avec des machines, mais ils ne tolèrent pas plus de 5 % de laitue avec cette brûlure. Un champ peut être perdu au complet sans que rien n’y paraisse à l’extérieur du plant.

À suivre…