Politique 3 septembre 2014

«Ça n’a carrément pas d’allure!»

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« Ça n’a pas de sens. Ça n’a carrément pas d’allure. C’est moralement inacceptable. C’est un mauvais accord qui a été conclu par de mauvais négociateurs. »

Voilà la réaction épidermique du président de la Fédération des producteurs de lait du Québec, Bruno Letendre, à l’annonce voulant que le Canada autorise l’importation de 16 000 tonnes additionnelles de fromages fins européens au pays.

« Nous ne sommes pas dupes. Nous savions qu’une quantité additionnelle de fromages entrerait au Canada, a expliqué M. Letendre. Mais 16 000 tonnes de fromages fins, ça n’a carrément pas d’allure. C’est couper entre 20 et 30 % de ce marché au pays, développé par les transformateurs d’ici, pour le donner aux Européens. C’est moralement inacceptable. »

D’après ce qu’a appris M. Letendre, ces 16 000 tonnes de fromages fins européens vont entrer progressivement au Canada, sur une période de 5 ans. « En pratique, ça revient à octroyer aux Européens plus que la croissance annuelle moyenne observée dans ce segment du marché. »

Le président Letendre craint « que les petits transformateurs se fassent carrément tasser des tablettes des épiceries, car la marge s’avère plus intéressante sur les fromages européens pour la grande distribution. Et dans quatre ou cinq ans, on tiendra des conférences de presse pour dire que les fromageries artisanales ont de la misère à vivre », a-t-il ironisé.

M. Letendre estime que l’on veut noyer le poisson en disant que ces volumes additionnels correspondent à seulement 4 % du marché de tous les fromages. « C’est sur le marché des fromages fins qu’il faut mesurer l’impact et il est majeur pour le Québec où l’on fabrique plus de 60 % de ces produits », a-t-il dit.

Dédommagés?

« L’entente commerciale entre le Canada et l’Europe va entraîner une baisse de quota d’un peu plus de 2 % à la ferme », a précisé ce producteur laitier de Saint-Georges-de-Windsor, en Estrie. Les producteurs seront-ils dédommagés? « On nous dit, dans une petite phrase, que des fonctionnaires vont évaluer si ces importations vont affecter les revenus des producteurs et s’il y aura des compensations à avoir », a noté le président Letendre.

M. Letendre a dit douter fort que les producteurs laitiers du Québec continuent de financer de la publicité sur les fromages fins, alors que ce sont les Européens qui vont en profiter.

Gestion de l’offre

« Je ne comprends pas pourquoi le Canada a cédé sur la gestion de l’offre, car il était en bonne position de négociation notamment pour les fromages, avec les 14 000 tonnes déjà accordées aux Européens, a relevé le producteur laitier. Chaque région avait ses points sensibles. Les Européens ne voulaient pas entendre parler de remise en question des subventions. Pour le Canada, c’était la gestion de l’offre », a-t-il laissé tomber.

M. Letendre est d’autant plus étonné qu’il a rencontré, il y a moins d’un mois, deux ministres fédéraux qui lui ont redit qu’il n’était pas question de toucher à la gestion de l’offre. Entre autres arguments évoqués : le fédéral n’a pas d’argent à mettre pour dédommager les producteurs et ce système est bon pour l’économie des régions. « Nous enlever 30 % du marché des fromages fins, l’un des deux secteurs laitiers en croissance, ils appellent ça ne pas toucher à la gestion de l’offre? a-t-il lancé. On a une gestion de l’offre ou on n’en a pas. On ne peut pas l’avoir à moitié, tout comme une femme ne peut pas être enceinte à moitié. »

« Catastrophe » pour les fromagers

« On sacrifie le fromage québécois pour le bœuf de l’Ouest », lance Louis Arsenault, président de l’Association des fromagers artisans du Québec (AFAQ), qui ne digère toujours pas la nouvelle d’un accord qui allouerait 17 500 tonnes de plus de contingents tarifaires au fromage européen.

Le président de l’AFAQ dit avoir reçu plusieurs appels de ses collègues fromagers, qui laissent tous en suspens leurs projets d’investissement. La Fromagerie des Grondines de M. Arsenault fait d’ailleurs partie du lot; on y a mis de côté l’agrandissement qui était prévu.

« De petites fromageries du Québec vont fermer », prédit le président de l’AFAQ, songeant tout particulièrement aux entreprises situées loin des grands centres et qui sont donc plus dépendantes des gros distributeurs.