Environnement 2 septembre 2014

La Pennsylvanie exporte ses fluides

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La disposition des fluides de fracturation est au cœur de l’enjeu environnemental des gaz de schiste. Compte rendu.

Au moins 1,5 million de litres de fluides de fracturation par puits ressortent des puits de gaz de schiste (ou shale) aux États-Unis. Cette eau polluée n’est habituellement pas traitée et sa gestion repose ultimement sur l’exportation du problème.

L’industrie se veut rassurante et parle de recyclage de ces fluides contaminés. Talisman et d’autres entreprises utilisent en effet des citernes mobiles pour recueillir le liquide de fracturation qui contient environ 1 % de produits chimiques (réducteur de friction, un inhibiteur de dépôt et un biocide pour contrôler les bactéries). Cette eau sale est ensuite recyclée dans le prochain site de fracturation. À terme, après quelques utilisations, l’eau de fracturation est cependant expédiée pour être rejetée dans les puits très profonds principalement situés en Ohio.

Selon le département de l’Environ­ne­ment de Pennsylvanie (DEP), il faut de 4 à 6 millions de gallons d’eau par puits pour la fracturation d’un puits et de 10 % à 15 % de ce volume ressort éventuellement. La contamination provient en partie des produits chimiques ajoutés, mais aussi par le schiste lui-même qui ne contient pas que du gaz (mercure, radium, etc.). Au début, ce liquide pollué allait dans la rivière par les égouts des municipalités qui ne sont pas adaptés pour traiter ces rejets.

Après quelques utilisations, l’eau contaminée est maintenant envoyée dans un puits profond ou plus rarement traitée en retirant les métaux lourds et en enfouissant la partie solide qui reste après l’évaporation de l’eau. Le DEP et l’industrie affirment que les fluides qui demeurent en profondeur dans les puits, sous la nappe phréatique, ne posent pas de problème de migration à long terme.

Égouts municipaux et puits

« Une partie des fluides est expédiée à l’extérieur de l’État, mais une autre est toujours rejetée dans les égouts municipaux », affirme toutefois Tom Hoffman, directeur du groupe environnemental Clean Water Action. Ce dernier fait valoir que le chlore utilisé pour traiter l’eau potable réagit avec les fluides de fracturation pour former un produit cancérigène nommé THM (trihalométhane). Toujours selon M. Hoffman, la ville de Pittsburgh est l’une des rares à tester le THM et elle constate une hausse constante et « préoccupante » de THM ces dernières années.

Selon Samantha Malone, du site fractracker.org, des cas d’animaux en quarantaine ont également été signalés lorsqu’un troupeau s’est abreuvé avec le liquide de fracturation d’un puits. « On voit beaucoup de choses dans les médias sur les liquides de fracturation qui contaminent les puits et l’eau. Ce n’est pas vrai », avance Michael Reid, chef des relations avec les partenaires de Talisman. Il y a parfois de la turbidité dans l’eau des puits des environs causée par le passage de la foreuse. Dans ce cas, la compagnie donne des filtres aux résidences touchées.

L’eau potable souterraine, qui se trouve de 15 à 60 mètres de profondeur, approvisionne 50 % de la population en Pennsylvanie, et plusieurs citoyens demeurent inquiets malgré le discours officiel.

« Ils peuvent forer à 100 pieds du puits de quelqu’un. La compagnie peut être tenue responsable d’une contamination que si elle survient dans les six mois et si le puits est à moins de 1000 pieds », indique Tom Hoffman, directeur du groupe Clean Water Action à Pittsburgh. Ce dernier souhaite qu’on étende le délai à au moins un an et la distance à 2500 pieds. Pour les résidents qui veulent poursuivre une compagnie gazière lors d’un problème d’eau potable, la difficulté réside dans les frais juridiques et l’absence de test indépendant effectué avant l’arrivée du puits. C’est la seule façon de vraiment prouver l’origine de la contamination.

Dans la partie supérieure du puits où l’eau souterraine se trouve, Talisman et Range Ressources utilisent quatre tuyaux d’acier, un dans l’autre, avec du ciment spécial non poreux entre chacun des tuyaux ainsi qu’à l’extérieur de l’enveloppe. Le ciment est injecté par le tuyau et remonte ensuite sur les parois avec la pression.

S’il y a déversement accidentel sur un terrain, la compagnie est responsable, assure Talisman, qui souscrit à une obligation (bond) de 25 000 $ par puits pour les cas problèmes éventuels. Les sites d’extraction du gaz sont par ailleurs protégés par une enveloppe imperméable sous le sol.

George Jugovic, directeur régional du département de l’Environnement de Pennsylvanie (DEP), estime qu’environ 24 puits de gaz de schiste sur plus de 2500 forés jusqu’à maintenant ont eu des fuites de gaz par des micro-fractures lorsque l’installation du ciment n’était pas adéquate. Le DEP rappelle que trois explosions de maisons sont aussi survenues au fil des années, dont la dernière il y a un peu plus d’un an. Il y a quelque 300 000 puits abandonnés en Pennsylvanie et on suspecte que le gaz qui remonte à la surface peut parfois venir de ces vieux gisements. « L’image de l’eau qui brûle, on doit en reparler chaque jour », admet M. Jugovic, à propos de la célèbre scène du film Gasland. Malgré tout, les autorités environnementales appuient l’exploitation du gaz de schiste. « Comme agence, on pense que cette ressource est plus propre que les alternatives », soutient M. Jugovic, qui admet qu’il y a des risques et qu’il faut un encadrement adéquat.

Compresseurs et pollution de l’air

Selon le DEP, il y aurait « très peu » d’émissions dans l’atmosphère près des puits. Lors de la visite de la Terre sur un puits de Range Ressources, on pouvait néanmoins sentir des odeurs particulières malgré la présence d’un « aspirateur » censé capté les émanations provenant des têtes de puits.

« Le problème, c’est d’amener le gaz au site de compression », indique cependant George Jugovic, qui précise que des moteurs de 1300 hp ou même plus sont utilisés en continu à cette fin et que ces derniers sont responsables d’émissions s’ils fonctionnent en continu avec de l’énergie fossile. « On a beaucoup de plaintes pour le bruit et la lumière », affirme M. Jugovic, qui parle de « stress » pour les voisins d’un compresseur ou d’un site de forage et de fracturation.

Présence de failles

La présence de failles dans le schiste pourrait-elle représenter un risque de contamination lors du processus de fracturation? Le fluide est en effet injecté avec une énorme pression et tend à se diriger vers le point de moindre résistance. « Il y a parfois des failles (dans le roc) », admet Guido Struyk, chef d’équipe pour les permis de surface chez Talisman. Des études sismiques permettent cependant de détecter certaines de ces failles qui ne sont pas toujours visibles au départ. Si la fracture est trop importante, la zone ne sera pas forée. Sinon, on tente de contourner le problème en déviant la tête de forage ou en scellant avec du ciment à l’endroit critique.