Environnement 2 septembre 2014

L’argent du gaz divise les Pennsylvaniens

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« L’arrivée du gaz veut dire de l’argent pour des gens pauvres », affirme William Black, propriétaire d’une terre où se trouve un site de forage de Range Resources, en Pennsylvanie.

M. Black est satisfait de son contrat et estime que les bénéfices sont plus importants que les contraintes. Il s’attend à recevoir environ 10 000 $ par mois pour le gaz de ses huit puits, en fonction du volume produit et du prix du gaz. Il a déjà reçu 200 000 $ pour le terrain. L’agriculteur admet cependant être en froid avec un de ses voisins et estime que ceux qui sont d’accord avec le développement ne « parlent pas aussi fort » que ceux qui sont contre. Ce genre de tension entre voisins est présent partout au pays du gaz.

L’appât du gain

Les régions de Pennsylvanie où le gaz se développe sont déprimées économiquement et cela facilite le travail des négociateurs de baux (land man) avec une majorité de propriétaires. La compagnie Range Resources affirme avoir versé 2 G$ US aux propriétaires de ses 200 puits de Pennsylvanie, depuis six ans. L’appât du gain est donc très présent.

« La controverse est essentiellement économique », confirme Charles Chris­ten, professeur à l’Université de Pittsburgh et directeur du Centre pour l’environnement et la santé des communautés. Les voisins des sites subissent les inconvénients comme le bruit, les camions et la fumée, mais ne reçoivent pas d’argent. Or, « une fuite mineure peut faire perdre la certification biologique d’une ferme », illustre M. Christen.

Au Québec, c’est le gouvernement qui détient tous les droits souterrains. Ce n’est pas le cas en Pennsylvanie, où ces droits appartiennent en principe au propriétaire du terrain, à moins que ce droit ait déjà été vendu à une compagnie minière ou gazière dans le passé. La Pennsylvanie exploite en effet le charbon, le pétrole et le gaz de surface depuis plus de 100 ans.

« Le conflit vient du fait que plusieurs agriculteurs ne possèdent pas les droits du sous-sol et n’ont donc pas de pouvoir de négociation », indique Susan Beal, vétérinaire, agricultrice et consultante pour le groupe Pennsyl­vania Association for Sustainable Agriculture (PASA). Du gaz peut ainsi être pompé sous les terres (forage horizontal) de ceux qui ne détiennent pas les droits souterrains, et cela sans aucune compensation.

Prix très variables

Les prix payés aux propriétaires ont énormément évolué avec le temps depuis 2005, créant ainsi des disparités régionales.

Selon Susan Beal, la compensation initiale pour les droits souterrains par acre était d’aussi peu que 20 $ au début et atteint 3500 $ ou plus maintenant. La largeur convenue dans les contrats pour le passage des pipelines était parfois de 24 mètres, alors que 30 cm suffisent après les travaux. Cet aspect est d’autant plus important qu’une compagnie peut profiter d’une emprise plus large pour sous-louer le terrain pour éventuellement faire passer d’autres conduites. La compensation pour le pipeline a aussi évolué avec le temps, de 0,50 $ du pied à 2,50 $ ou même 8 $, avec parfois des montants étalés dans le temps. Les contrats ne prévoyaient pas toujours non plus la reprise du drainage, la remise en état des pâturages ou la replantation.

Talisman, qui possède 280 puits en Pennsylvanie, verse de 50  000 $ à 80  000 $ pour une surface de cinq acres de terrain. Talisman paie de 2000 $ à 4000 $ de l’acre au départ pour les droits souterrains. Ensuite, les redevances sont de 12,5 % du revenu de la vente du gaz au prix du gros.

Un avocat spécialisé en gaz, Steven Irwin, du cabinet Leech Tishman, estime toutefois qu’il est possible d’obtenir 18 % des revenus bruts et 5000 $ l’acre en négociant correctement. Au Québec, c’est le gouvernement qui va « négocier » les droits souterrains et il possède donc en théorie un plus grand poids que de simples petits propriétaires de parcelles.

« Le gros des discussions ne porte pas sur l’appartenance des droits, mais sur les montants de compensation », soutient William Bresee, avocat spécialisé chez Leech Tishman.
M. Bresee et son collègue Steven Irwin travaillent souvent à rouvrir de vieux contrats mal ficelés et dont toutes les conditions n’ont pas été respectées. « Il faut une définition claire du revenu net ou brut », recommande William Bresee, qui met en garde les propriétaires contre des clauses mal définies qui permettent parfois à des gazières de déduire plusieurs dépenses du revenu qui servira ensuite au calcul des redevances. Le contrat doit aussi spécifier les lieux précis des puits, des chemins et des pipelines.

Signer ou ne pas signer

Malgré les risques, le professeur Charles Christen recommande aux agriculteurs de son État de signer un contrat, car c’est souvent le seul moyen pour eux de négocier de bonnes conditions, alors qu’un refus n’empêche pas nécessairement les entreprises de forer sous leur sol et de subir les inconvénients de surface.

Le professeur cite aussi en exemple un groupe d’agriculteurs du dimanche qui a imposé un contrat commun aux compagnies intéressées par leur site. Or, cinq de ces dernières ont refusé ces conditions et il n’y a toujours pas de puits à cet endroit. L’avocat Steven Irwin a lui aussi concocté un contrat assorti de multiples conditions pour le forage de sa propre terre. Les compagnies ont également délaissé ce projet pour le moment. Il faut dire que le prix du gaz est relativement peu élevé en ce moment. Le New York Times a d’ailleurs publié récemment un important dossier qui met en doute la rentabilité de l’industrie du gaz de shale dans les conditions actuelles. Or, plus les clauses des contrats sont strictes, plus ça coûte cher aux compagnies.

L’agriculteur biologique Greg Boulos est le seul dans son coin à refuser de signer avec les gazières et empêche ainsi ses voisins d’en profiter, car un pipeline doit pouvoir traverser ses terres pour acheminer le gaz.

M. Boulos craint cependant qu’une nouvelle loi en discussion force les opposants comme lui à céder devant les compagnies dès que 60 % des propriétaires concernés acceptent de signer.

Qu’on signe ou pas un contrat, le prix des terres de Pennsylvanie dans un coin prospecté pour le gaz tend à augmenter au départ et à diminuer ensuite lorsque les puits sont en place. M. Boulos craint par ailleurs que les prêts hypothécaires ne puissent plus être endossés par les institutions fédérales à cause du risque environnemental qui pourrait faire chuter la valeur des propriétés