Actualités 9 octobre 2014

Jardinage : l’art de pratiquer une génétique intelligente

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Avec patience et détermination, Yves Gagnon et Diane Mackay cultivent leurs Jardins du Grand-Portage, à Saint-Didace, depuis 33 saisons déjà. Leurs semences d’une cinquantaine de cultivars, dont les savoureuses tomates Savignac, sont vendues partout grâce à Internet

« Nous pratiquons une génétique intelligente et c’est tout simplement jouissif », dira Yves Gagnon. Celui-ci explique que l’amélioration d’une plante passe d’abord par la sélection des meilleurs sujets, tout comme chez les animaux. Pour les tomates par exemple, une quinzaine de plants seront mis en terre au printemps. Le jardinier va identifier ses trois plants les plus précoces, ceux qui semblent le plus en santé. De ces trois plants, il va retenir seulement les plus beaux fruits, ceux qui ne sont pas « craqués ».
couple_400« C’est passionnant, affirme-t-il, parce qu’à l’intérieur de trois ou quatre générations, je vois des améliorations. C’est comme ça que la génétique doit être faite. Cela permet aux végétaux de s’adapter aux changements climatiques, notamment aux particularités régionales. »Cette récolte dite « du chef » va servir à Yves Gagnon pour lancer sa production la saison suivante, tandis que le reste sera écoulé sur le marché, l’acheteur profitant lui aussi d’un écrémage exceptionnel. Le jardinier parle d’une sélection méticuleuse des plants mères et des fruits porteurs. Les semences seront récoltées avec le plus grand soin, séchées patiemment et entreposées en lieu sec.

À propos de ces changements climatiques, dira-t-il, les jardiniers sont assis aux premières loges. À son arrivée à Saint-Didace, par exemple, les derniers gels étaient enregistrés entre le 6 et le 9 juin, de sorte qu’aucun plant n’était généralement mis en terre avant le 10 juin. Les premiers gels d’automne apparaissaient habituellement entre le 28 août et le 2 septembre pour une saison de culture d’environ 80 jours. Aujourd’hui, cette saison s’étend sur près de 125 jours, soit du 20 mai et à la fin de septembre.

« Ce ne sont pas des variations climatiques mais bien des métamorphoses, estime-t-il. On a des épisodes de vent et de grêle de plus en plus violents. On sent vraiment l’agressivité du climat, et ça nous fait peur. »

La tomate
Yves Gagnon et Diane Mackay vouent une affection particulière à la tomate, tout spécialement à la Savignac, du nom du frère Armand Savignac, un clerc de Saint-Viateur à Joliette. C’est lui qui est en partie responsable de leur intérêt pour l’amélioration génétique par la récolte des semences. Après avoir goûté à ses tomates tout simplement « imbattables », nos jardiniers se mettent à la tâche d’adapter cette variété au climat plus nordique de Saint-Didace. Un univers nouveau venait de s’ouvrir devant eux.

Yves Gagnon avoue que la tomate est sans aucun doute le fruit le plus facile à cultiver pour l’amélioration génétique. Outre la Savignac, il en produit une dizaine de cultivars. À ses yeux, la fleur est parfaite : hermaphrodite et autoféconde, elle limite les croisements d’autant que le pollen voyage peu. Une distance de cinq mètres entre deux cultivars suffit pour empêcher les croisements.

Le procédé de récolte est fort simple. Les tomates sont cueillies bien mûres, aux deux tiers de leur coloration. Le mûrissement est achevé à l’intérieur sans dépasser un stade comestible. Après les avoir coupées en deux, le jardinier récupère les semences avec leur jus et entrepose le tout dans un pot Mason pour trois jours, pas plus, pas moins, en prenant soin de remuer le mélange une fois par jour. La fermentation du jus permettra de détruire les spores de champignons et de dégager les enzymes qui empêchent la graine de germer.jardinnage_300-_24

 

Le quatrième jour, le mélange est placé dans un tamis pour un lavage à grande eau de manière à faire disparaître toute trace de rouge. Une fois égouttées, les semences sont étendues sur un carton ciré (ses vieux cartons de livres) pour un séchage de trois ou quatre jours avec circulation d’air. Les semences sont par la suite conservées dans des sacs de papier brun dans un endroit sec et bien aéré, aidé par un déshumidificateur. D’une seule tomate, il récupérera environ quatre sachets de graines qu’il pourra vendre 3 $ l’unité.

Notre jardinier, qui est aussi un fin cuisinier, récupère la chair qu’il passe au mélangeur. La pâte obtenue est par la suite congelée, prête à être intégrée à une sauce pour les spaghettis. « En moins d’une demi-heure, s’amuse le cuistot, mon souper est prêt. »

Pour le concombre et le melon, Yves Gagnon propose notamment le concombre Tante Alice et le melon d’Oka. Il attend carrément que ces deux fruits pourrissent dans le champ. Une fois bien jaunes, ils sont récoltés et entreposés dans la grange pendant deux ou trois semaines. Le jardinier ouvre les fruits avec précaution pour s’approcher du cœur, d’où il retire les semences. Celles-ci sont également mises en pot et conservées quatre ou cinq jours pour favoriser la fermentation libératrice. « Ça pue », convient le jardinier. Les semences sont par la suite lavées, séchées et entreposées.

Dans le cas du poivron, Yves Gagnon récolte le légume aux deux tiers de sa couleur, tout comme la tomate. De la trentaine de plants mis en terre, il conservera les six ou sept plus beaux poivrons pour ses propres semences de l’année suivante. Après un entreposage d’une dizaine de jours et une fois très rouges, les légumes sont ouverts, et les semences sont récupérées avec le placenta afin de permettre la poursuite du transfert d’informations génétiques entre les deux. Idéalement, tout ça sèche ensemble et il n’y a aucune fermentation pour cette semence. Au King of the North, l’un des meilleurs vendeurs, le jardinier ajoute cette année le Mandarine et le Rond de Hongrie, bien rouge.

Yves Gagnon s’intéresse maintenant à l’aubergine, gourmande de chaleur et particulièrement difficile à cultiver sous nos latitudes. Dans le cas du cultivar Diamond, il a introduit une précocité dans la lignée. L’an dernier, il a obtenu, dit-il, une quantité « hallucinante » de semences. Toutefois, il reconnaît que le taux de germination de 50 à 60 % n’est pas encore « à son goût ». Il désire atteindre au taux de succès de 70 %, 80 % idéalement, avant d’en faire la mise en marché, à moins de compenser par l’augmentation de la quantité de semences par sachet.

jardinnage_300« Avec toutes les espèces, explique-t-il, il y a une certaine dormance dans les semences. C’est une sorte de mécanisme qui dit à la semence : ne germe pas tout de suite, sinon tu vas mourir. Tout le monde est en train d’apprendre sur le sujet, et j’espère avoir le temps d’écrire un livre juste là-dessus. Ce sera mon dernier projet. Je vais me concentrer sur les lignées sur lesquelles j’ai travaillé. »

Le prolifique jardinier a jusqu’ici publié six ouvrages. Le premier, Introduction au jardinage biologique, a été à sa grande surprise un succès de librairie avec 10 000 exemplaires vendus. Incrédule, il répétera l’expérience avec La culture écologique. Autre succès de librairie : plus de 14 000 exemplaires vendus!

Arrosage
Yves Gagnon convient que l’irrigation d’un jardin est un art fort complexe, certaines plantes supportant mal l’eau froide. C’est le cas de la tomate, une plante tropicale qui raffole de l’eau de pluie. Elle déteste par contre l’arrosage par gicleur. Elle devient alors « vraiment folle », prévient le jardinier, et après trois jours, les feuilles montreront des signes de maladie.

Outre le gicleur pour certaines parties de ses jardins, mais jamais en plein jour, Yves Gagnon utilisera le goutte-à-goutte ainsi que l’arrosage manuel. Les plantes, dit-il, doivent boire tous les trois ou quatre jours. À cette fin, il a aménagé deux étangs dans ses jardins, « pour la beauté, mais aussi la biodiversité », si utile à la culture biologique. La compagnie des batraciens est fort prisée pour le contrôle des insectes ravageurs.

« Quand il pleut, admet-il, les jardiniers sont vraiment contents. C’est moins de travail que l’arrosage. L’eau de pluie est chaude, et les plantes adorent ça. »

Fertilisation
Pour la fertilisation de ses jardins, Yves Gagnon fabriquera lui-même près de 95 % du compost nécessaire. Il achète trois cargaisons de feuilles mortes à Saint-Gabriel-de-Brandon et un peu de fumier de poulet de l’un de ses voisins tous les deux ans pour ses cultures gourmandes en azote. Il disposera ainsi de quatre tas de compost : l’un de fumier, l’autre de feuilles mortes et deux de résidus du jardin (l’un de printemps et l’autre pour l’été).

Il fabrique aussi un purin à partir de la macération de végétaux fermentés : l’ortie dioïque et la consoude en parts égales. Les gourmands de tomate peuvent également être utilisés à cette fin. Après l’ajout des plantes, il comble le récipient en ajoutant de l’eau et brasse le mélange une fois par jour. Le purin obtenu sera dilué dans quatre ou cinq parties d’eau avant d’être apposé, idéalement après une pluie.

« C’est extrêmement puissant, meilleur que l’engrais et ça ne coûte rien. En fin de saison, on peut en appliquer une bonne dose », conseille-t-il.

Tout le compost est envoyé vers les plantes voraces, « là où ça paie ». La rotation des cultures s’effectue suivant un cycle de trois ans, dont un an de préparation par l’utilisation d’engrais verts, d’abord au printemps avec un semis de féverole, une légumineuse, suivi du sarrasin qui sera enfoui vers le 25 août. Le seigle ou l’avoine sera enfin semé début septembre pour un enfouissement au printemps. Yves Gagnon demeure convaincu qu’il est plus vitalisant pour le sol d’y enfouir une plante vivante.

« C’est un pur bonheur d’avoir un garde-manger comme ça dans sa cour, dit-il, philosophe, en montrant ses jardins. Quand tu récoltes une semence transmise de génération en génération, tu sais que tu obtiens des produits de qualité. Nous sommes faits de notre terroir et nous le façonnons aussi. C’est une belle façon d’être partie prenante de notre milieu. »

Une belle idée qui ne demande qu’à germer!