Élevage 18 septembre 2012

Entre relève et patrimoine

 

Une belle histoire de relève se déroule dans une ferme du XIXe siècle située dans le cœur du village de Saint-Maurice, en Mauricie, et que Jean Guilbert a achetée et réactivée en 1982. Et maintenant, son fils Charles a fait de cette ferme le lieu où il concrétise son rêve de se lancer dans la production laitière.

Mais pour passer du rêve à la réalité, une masse considérable d’efforts a été nécessaire.

On pourrait difficilement trouver une ferme québécoise où l’on sent plus intensément la pression urbaine qu’à la ferme Le Campanile. De 1976 à 1982, toute production agricole y avait cessé. Sans les efforts de conservation de Jean Guilbert, enseignant de profession mais agriculteur dans l’âme, on peut croire que ces terres auraient vraisemblablement fait place à un autre développement résidentiel.

« Au départ, quand j’ai acheté la ferme, on comptait un cheval et une vache, se remémore-t-il avec le sourire. J’ai graduellement remis les terres en culture céréalière et maraîchère. La ferme compte une superficie de près de 14 hectares. Puis, la production acéricole a été remise sur pied. Ce qui a été déterminant pour la suite des choses, c’est que mes enfants ont grandi dans cet environnement. Deux de mes trois enfants font carrière dans le monde agricole. »

Après des études à l’Institut de technologie agroalimentaire et à l’université où il a presque complété un baccalauréat en agronomie, Charles Guilbert trouvait qu’il était grand temps de passer des bancs d’école aux allées d’une étable. « J’ai essayé d’acheter deux fermes dans la région, mais ça n’a pas fonctionné, explique-t-il. J’aimais bien la ferme paternelle, mais entre nous, c’était pas mal tout croche. Finalement, j’y suis revenu et au bout du compte, ça n’a pas été une mauvaise idée. »

Par contre, comme en témoigne son père, mettre l’ancienne étable en condition a été « tout un projet pour un jeune! » La laiterie n’avait pas servi depuis 1976, et il a fallu faire communiquer l’étable avec la grange pour aménager la vacherie en éliminant un mur. De plus, une section supplémentaire a été ajoutée en décembre dernier pour recevoir les veaux, mais aussi pour servir de remise au fumier. « Pour éviter d’incommoder le voisinage, nous sortons le fumier tous les jours, précise Jean Guilbert. L’hiver, nous avons aménagé un amas au champ. »

Toute cette construction a été réalisée par Charles, avec un coup de main de son père. Pour conserver un certain cachet au bâtiment, des planches d’époque ont été récupérées sur une vieille grange plus loin sur le rang.
Si l’étable est suffisamment spacieuse pour accueillir les 25 vaches que compte actuellement le troupeau, Charles est en train d’en rehausser le plafond. Cela uniformisera le plafond entre l’étable et la grange. « Ce sera plus dégagé, mais je voulais quand même garder le plafond assez bas pour contrôler la ventilation », précise le producteur de lait.

Les logettes d’origine ont été conservées mais les dalots, qui avaient été comblés, ont été dégagés. Le producteur de 26 ans a décidé de conserver les vaches entravées. Selon lui, cela facilite la gestion du troupeau et la traite. Les vaches taries sont laissées en parc libre.

L’opération de traite est réalisée avec quatre trayeuses à retrait automatique reliées à une ligne de lait qu’a lui-même installée Charles, qui voulait le système le plus simple possible pour débuter.

La laiterie, déjà existante, a eu droit à une cure de rajeunissement. L’intérieur a été nettoyé et repeint, alors que le revêtement extérieur a été refait à neuf. Les équipements de collecte, de refroidissement et de conservation du lait viennent de plusieurs sources et portent les logos de diverses compagnies. Toute une opération d’assemblage a été nécessaire pour que l’ensemble fonctionne selon les normes. Charles souligne qu’un ami est venu lui donner un coup de main pour les branchements électriques et la programmation électronique.

Au sujet de l’alimentation, un robot distributeur acheté lors d’un encan permet de livrer aux vaches du maïs grain et du tourteau de soya selon une diète programmable. C’est le rail que Charles utilisait pour la circulation des balles rondes, avant de passer aux balles carrées, qui supporte l’appareil. « Je ne voulais pas investir trop d’argent sur cette machine, souligne-t-il. Il est possible que je passe un jour à un mélangeur de ration totale. »

Il y a deux ans, lorsque Charles Guilbert a confirmé son intention de reprendre la ferme paternelle, le troupeau était nourri avec des balles de foin rondes. Cette année, il a décidé de confier la préparation de grosses balles carrées à un forfaitaire. Le producteur n’a qu’à aller récupérer les balles au champ. Il considère que la conservation du fourrage est meilleure de cette façon. L’utilisation d’un hachoir « rotocut » lors du pressage permet par la suite une manipulation plus simple du fourrage, puisque l’opération est encore accomplie manuellement par Charles. Mais cette approche pourrait être une solution temporaire, étant donné que le producteur envisage aussi de construire un jour un silo en douve pour le maïs fourrager.

Un troupeau en construction

Depuis plusieurs années, Jean Guilbert, mordu de patrimoine agricole sous toutes ses formes, s’est constitué un troupeau de vaches canadiennes. Aussi louable soit-il, cet effort de conservation n’est pas nécessairement secondé par son fils. Ce dernier ne jure que par la vache Holstein. Il en a acheté à l’encan et commence à conserver des sujets de remplacement. « Pour moi, l’urgence est d’augmenter la productivité du troupeau, explique-t-il. En parallèle, il faut travailler sur la rotation de la production laitière, puisque je vis encore des pointes de production. »

Jean est manifestement très heureux de voir avec quelle énergie son fils prend la relève de cette ferme en lui donnant sa propre orientation. Il lui a donné un bon coup de main pour le soutenir. Le résultat est qu’en travaillant très fort et en faisant preuve de retenue dans ses investissements, le jeune producteur laitier n’a à supporter comme dette que la valeur du quota de lait qui lui a été attribué ou qu’il est allé chercher pour son démarrage.

La remise en production laitière de cette ferme ancestrale est un des rares exemples de relance de ce type en Mauricie depuis plusieurs années. À 26 ans, ayant déjà démontré son grand sens de la débrouillardise, Charles peut envisager l’avenir avec optimisme. Mais selon lui, il ne faudrait pas s’étonner de voir un nombre croissant de jeunes suivre son exemple et se lancer dans l’aventure.