Actualités 2 octobre 2014

Voyage dans la tête d’un patenteux

 

adauphin_debut

Bricoleur infatigable et passionné, Pascal Dauphin a construit et restauré de nombreuses machines. Accaparé par ses projets, il en a même oublié, pour un temps, que la vie continuait hors de son atelier… Rencontre avec un étonnant personnage dont le parcours fait réfléchir.

Comme tous les patenteux, Pascal Dauphin est doté d’un sens de l’observation et de la compréhension du fonctionnement des machines bien au-dessus de la moyenne. En découvrant ses nombreuses réalisations, vous serez sans doute épatés comme nous l’avons été en le rencontrant. Mais, comme vous le verrez plus loin dans ce reportage, quand on laisse ce genre de passion virer à l’obsession, on peut aussi y laisser des plumes!
Un retour aux sources… laborieux!

Fils d’agriculteur, Pascal s’était juré de ne jamais devenir esclave du travail sur une ferme. « Travailler sept jours par semaine, ça ne me tentait pas », dit-il. Il a donc complété un baccalauréat en pédagogie avant de devenir professeur d’éducation physique. Après plusieurs années dans ce métier qui comporte son lot de frustrations, le rêve de posséder sa petite exploitation agricole avec une ou deux vaches, un peu de foin, des céréales et un potager a refait surface. « Je voulais un hybride entre une petite ferme de survivance et la vie moderne, avec juste assez de machinerie pour être autonome », explique-t-il.

C’est à Saint-Gabriel-de-Brandon qu’il a trouvé ce qu’il cherchait : une ancienne ferme avicole de près de 70 hectares, dont une dizaine en culture et le reste en boisé. Il fallait cependant la retaper tout en poursuivant l’enseignement à temps partiel. « Je travaillais de 15 à 16 heures par jour, jusqu’à 100 heures par semaine régulièrement. »

Pascal est un perfectionniste qui a le souci du travail bien fait. Pour lui, prendre une machine en piteux état et la rendre impeccable était un défi qu’il ne pouvait s’empêcher de relever. C’est ainsi que fendeuse à bois, souffleuse, charrue, niveleuse et des dizaines d’autres machines ont repris vie grâce à lui. Cela sans compter la rénovation de la maison, la démolition de vieux poulaillers et la construction de nouveaux bâtiments pour entreposer ses machines.

Valoriser le travail manuel
Notre patenteux trouve beaucoup de valorisation dans ses travaux de restauration. Cela même si, aujourd’hui, la société ne reconnaît pas ce genre d’ouvrage à sa juste valeur. C’est notamment en côtoyant les jeunes gens pendant ses années d’enseignement qu’il est arrivé à un tel constat.

« Je trouve qu’il y a beaucoup de jeunes gars qui me ressemblent dans le milieu agricole. Ils travaillent beaucoup et, souvent, ils ont peu de contacts sociaux ou sont même un peu renfermés. S’ils sortent un soir, ils rentrent très tôt à la maison. En tant que manuels, ils se sentent un peu dévalorisés. Parfois ils ont une faible estime d’eux-mêmes. »

Selon Pascal, il importe de rester humble et d’être capable d’un minimum d’autonomie. Il faut valoriser davantage les gens manuels et débrouillards. « Pour moi, un jeune qui se révèle habile en menuiserie ou en mécanique a toutes les raisons d’être fier, de réussir et de se bâtir en tant que personne, affirme-t-il. Je n’en reviens pas de l’ignorance et du manque de débrouillardise de certaines personnes qui font venir le plombier pour ajuster une flotte de toilette. Quelque part, ça fait un peu pitié! »

Quand la passion vire à l’obsession
On l’aura compris, Pascal aime travailler de ses mains, et il ne fait pas les choses à moitié. Mais ce qui devait être une noble activité, voire une saine passion, a rapidement pris toute la place dans sa vie… au détriment de l’essentiel.

« Après 24 heures en visite dans la famille, je ne pensais qu’à revenir à la ferme pour réparer telle machine, terminer telle construction, arranger ceci ou cela. Nous allions au restaurant moins d’une fois par an, pareil pour le cinéma. Je vivais dans une bulle », confesse-t-il. J’étais pourtant motivé, heureux, je me disais que je faisais tout ça pour ma femme et mes enfants. » À son insu, notre patenteux, qui s’était pourtant promis de ne jamais en arriver là, était devenu l’esclave de sa ferme. Trop préoccupé par ses travaux, il perdait de vue le reste de sa vie, à commencer par sa famille. Il était prisonnier de sa bulle.

En 2010, c’est le divorce. Le couple a trois enfants de deux à six ans. Un coup dur qui le mène à la dépression, puis à un voyage à l’intérieur de lui-même. « Je me suis senti perdu ben raide. J’étais comme une page blanche, avoue-t-il aujourd’hui. Le départ de ma conjointe et de mes enfants m’avait coupé les jambes. Il a fallu que je me reconstruise. Ça n’a pas été facile.

« Aujourd’hui, je comprends que je n’ai pas su me modérer, que je n’ai pas assez pris soin de moi… et de mon couple. Pourtant, tout ce que je faisais, j’avais l’impression de le faire pour ma famille.

« Mon père m’a dit qu’à son époque mon ardeur au travail aurait fait de moi un héros. De nos jours, ce n’est plus pareil… » déplore-t-il. Pascal reconnaît que, dans son éducation, il fallait souffrir avant de profiter de la vie. « Je me disais qu’en travaillant aussi fort, ce serait plus facile après. » Sauf que le plus facile, comprend-il maintenant, ne serait jamais venu.

Aujourd’hui, Pascal retrouve son équilibre et, bien que sa passion pour le travail manuel ne l’ait pas quitté, il s’assure tout de même de réserver une part raisonnable de son temps et de son énergie pour prendre soin de lui et de son entourage.